Pierre Nkurunziza a prêté serment ce jeudi 20 août au Palais des congrès de Kigobe. Des cérémonies préparées dans un grand secret et qui se sont déroulées sous haute sécurité.
![Les membres de la Cour constitutionnelle félicitent le couple Nkurunziza]()
Les membres de la Cour constitutionnelle félicitent le couple Nkurunziza
Un message diffusé pour la première fois sur les réseaux sociaux ce jeudi, aux environs de 7h 30 : «Le président Nkurunziza peut prêter serment dans l’avant midi ». Bien des gens pensent que ce sont les sempiternelles rumeurs des réseaux sociaux. Les messages se multiplient, les uns plus précis que les autres. « Les fonctionnaires de la présidence sont en costume et en chemises roses. Il y a sûrement un événement inhabituel ».
Finalement, l’information est confirmée au niveau de l’Assemblée Nationale. La presse peut couvrir l’événement.
Au rond-point point de la place de l’Onu , au niveau de la permanence nationale du parti au pouvoir à Ngagara, des policiers de la garde présidentielle s’activent à réguler la circulation. Seuls les officiels peuvent passer. Les journalistes doivent présenter les badges.
Mais les véhicules sont nombreux entre ce rond-point et l’entrée de la clôture du palais de Kigobe. Et pour cause : déjà au niveau du Boulevard Mwambutsa (route Kigobe), la police fait des check-in. Et quelle police ! Une marée d’hommes armés de roquettes, de mitrailleuses ou des fusils mitrailleurs kalachnikov, avec au moins trois chargeurs de réserve.
A l’entrée de l’enceinte du palais, des travailleurs donnent un coup de peinture aux fûts bourrés de béton servant de balise de protection contre une attaque terroriste.
Passé cette entrée, c’est un check-in minutieux et systématique. Même les députés et sénateurs sont contrôlés. En grande tenue, les hauts gradés de l’armée doivent se mettre aussi à la file indienne avant de subir « la palpation » et le contrôle aux détecteurs à métaux.
Au perron du palais, tout le monde se met en file indienne pour subir un autre contrôle.
Pas de délégation étrangère de haut rang
Le corps diplomatique n’est pas si imposant. L’on signalera la présence des ambassadeurs de Russie, Chine, Egypte, Tanzanie, et de quelques fonctionnaires des autres ambassades à Bujumbura.
Un invité quand même de marque : la ministre sud-africaine de la Sécurité, venue représenter le président Jacob Zuma.
L’Eglise catholique du Burundi n’était pas représentée au haut niveau. Mais on aura vu Monseigneur Anatole Ruberinyange, arrivé à Kigobe dans un véhicule double cabine teinté, sous bonne escorte policière après le président de la République. C’est quand il fut installé que le président Nkurunziza a quitté le salon d’honneur pour entrer à l’hémicycle.
Les cérémonies ont commencé par les prières de Mgr Ruberinyange, puis celui de Sheikh Sadiki Kajandi et de Mgr protestant Bernard Ntahoturi.
A suivi la prestation de serment proprement dite. Devant le Parlement, costume bleu sur cravate rouge, M. Nkurunziza a lu le texte de l’article 106 de la Constitution, d’abord en Kirundi, puis en Français. Son serment a été reçu par la Cour constitutionnelle, sous un tonnerre d’applaudissements, d’impundu (cri aigu traditionnel de joie, ndlr) et même de sifflets.
Le commissaire de police chef Alain Guillaume Bunyoni, Chancelier des Ordres Nationaux, a décerné la décoration de « Grand collier des ordres Nationaux » au président Nkurunziza. Encore des applaudissements nourris. Il a alors prononcé son discours au terme duquel quelques hautes personnalités lui ont présenté des félicitations. L’on signalera que l’accolade entre Nkurunziza et Agathon Rwasa a déclenché un séisme d’applaudissements.
Pierre Nkurunziza : « Ma victoire vous appartient »
Malgré le boycott électoral par certains,le président de la République annonce la révision de la Constitution en son article 129. Objectif : former un gouvernement inclusif.
![Pierre Nkurunziza : «Je m’engage à respecter la Constitution, l’Accord d’Arusha et les différents accords de cessez-le-feu. »]()
Pierre Nkurunziza : «Je m’engage à respecter la Constitution, l’Accord d’Arusha et les différents accords de cessez-le-feu. »
« Gloire à Dieu pour avoir gardé les Burundais. On ne peut pas empêcher le soleil de briller. Ce jour restera inoubliable dans l’histoire du pays», déclare Pierre Nkurunziza. Selon lui, il doit la victoire au peuple burundais, lui qui s’est donné corps et âme pour que le processus électoral aboutisse sans incident. Sa victoire, il la doit également à toutes les personnes qui ont prié pour lui et à la Ceni. Une mention spéciale à la Cour constitutionnelle pour sa bonne lecture de la loi.
Quant aux journalistes, M. Nkurunziza estime qu’ils ont été témoins du bon déroulement des élections. Et de saluer le courage de certains leaders politiques et d’autres candidats à la présidentielle pour avoir accepté le verdict des urnes : « Ma victoire appartient à tous les Burundais, ceux qui m’ont élu ou pas. » En démocratie, le vainqueur règne pour tout le monde. Et Pierre Nkurunziza de rappeler qu’il est à son dernier mandat.
Ouverture et mise en garde
La prochaine étape, assure le président de la République, est la formation d’un gouvernement et des institutions inclusives comme le souhaitent les amis du Burundi. M. Nkurunziza envisage la révision de la Constitution en son article 129. Toutes les décisions, promet-il, seront prises dans le strict respect de la loi.
Il exhorte le retour des réfugiés : « Les fausses rumeurs sont à l’origine de leur départ. » M. Nkurunziza demande à la Commission Terre et Autres Biens de protéger leurs avoirs laissés.
A ceux qui ont pris la voie de la violence, il leur demande de se ressaisir. Sinon, avertit-il, ils subiront le châtiment de Dieu : « Nous n’allons pas tolérer. Tous les yeux sont braqués sur eux. »
Aux leaders politiques, le président recommande la discipline, la tolérance et le strict respect des droits humains : « Des enquêtes sur les assassinats de paisibles citoyens sont en cours. Qu’ils soient au pays ou à l’étranger, leurs auteurs seront traqués. »
La mise en garde, c’est envers la société civile et les confessions religieuses. Une loi régissant les défenseurs des droits de l’Homme va être bientôt votée pour les remettre sur les rails. Les religieux, conseille-t-il, ne doivent pas s’ingérer dans la politique avec le risque de les écarter de leur mission première : la prédication.
De l’insécurité grandissante
La question sécuritaire, déclare Pierre Nkurunziza, préoccupe : « Sans sécurité, rien n’est possible. »Il appelle tout le monde à veiller à sa sauvegarde et de collaborer pour arrêter tous les malfaiteurs endéans deux mois. Une minute de silence est observée en mémoire des illustres disparus dont un ancien compagnon de lutte.
La gratuité de la scolarité, conclut-il, des soins de santé pour les enfants de moins de cinq ans et des mères qui accouchent reste la politique du gouvernement.
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>>>Réactions
Charles Nditije : « Etre contre lui, est-ce être contre Dieu? »
« C’est une prestation de serment en catimini, en cachette et sous haute surveillance, comme si le pays était en guerre », déclare le président de l’Uprona non reconnu par le ministère de l’Intérieur, et membre de la coalition Amizero y’Abarundi. Pour lui, Pierre Nkurunziza a prêté serment en solitaire, comme il est allé dans les élections. Charles Nditije ajoute que cette prestation revêt beaucoup de contradiction. « Le protocole de la présidence avait annoncé cet événement pour le 26 août, pourquoi alors cette précipitation, et qu’est-ce qui se cache derrière ? »
M. Nditije souligne également les menaces contenues dans le discours du président Nkurunziza, alors qu’il devrait être apaisant. « Il a osé dire que ceux qui seront contre lui subiront le châtiment de Dieu. A l’entendre, on dirait qu’être contre lui c’est être contre Dieu, comme s’il était le Bon Dieu sur terre. » En définitive, Charles Nditije ne semble pas étonné : « De toute façon, on en attendait rien de bon. Pour nous, c’est un non-événement. »
Léonce Ngendakumana : « On ne prête pas serment avant les élections »
Le président de l’ADC-Ikibiri a une position catégorique : «On ne peut pas parler de prestation de serment alors qu’il n’y a pas eu d’élections. » Il estime que l’accord d’Arusha, la Constitution, la feuille de route du 13 mars 2013 et d’autres engagements ont indiqué comment les élections de 2015 doivent être préparées. Léonce Ngendakumana constate que Pierre Nkurunziza ne mérite plus de diriger le Burundi : «Il a été incapable de discuter avec différentes couches de la population et de combattre la corruption pendant les dix ans. » Et de se demander comment il peut continuer à diriger le peuple qu’il a divisé, dans cette situation d’insécurité et de crise de confiance grave.
Il demande au président Nkurunziza d’arrêter ‘cette comédie électorale’ : « Il faut plutôt engager des négociations sur les questions de fond pour sécuriser le pays et redonner de l’espoir au peuple burundais. » De cette manière, poursuit M.Ngendakumana, on aura créé un environnement propice, favorable à l’organisation des élections qui unissent les Burundais.
Gaston Sindimwo : « C’est l’aboutissement d’un bon processus électoral »
Le secrétaire général du parti Uprona ne cache pas sa joie : « Ce moment, nous l’avons longtemps attendu car nous avons beaucoup lutté pour y arriver. »
Pour lui, l’investiture du numéro un Burundais est un signe que les élections se sont déroulées dans le calme. Elle ouvre la mise en place des institutions qui vont gouverner le pays les cinq ans à venir. Gaston Sindimwo ne doute pas que le nouveau gouvernement qui va être mis en place s’attèlera au retour effectif de la paix.
Joseph Ntakarutimana : « Qui commence bien finit bien »
Contrairement à une opinion qui estime que la prestation de serment avant le 26 août est une violation de la loi, le premier vice-président du parti présidentiel rassure : « En aucun cas, en témoigne la présence de plusieurs délégations venues nous soutenir. »
Même son de cloche chez Louis Kamwenubusa, porte-parole adjoint du président de la République : « Après la tenue des élections, rien n’empêche le président de la République à prêter serment. » Pour lui, l’évènement de ce jeudi serait une flagrante violation de la Constitution, s’il avait été plutôt reporté après le 26 août.
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>>>Analyse
Les tours de passe-passe constitutionnels du pouvoir
Pour aller jusqu’à faire de Gaston Sindimwo le 1er vice-président de la République, le pouvoir de Pierre Nkrunziza, avec la complicité de la CENI, a fait de véritables tours de passe-passe dignes d’un prestidigitateur. Partant d’abord des résultats des élections. Les partis FNL et Uprona, officiellement reconnus et alliés au pouvoir, ont été balayés par le vote législatif du 29 mai.
L’Uprona de Concilie Nibigira a sauvé de toute justesse 2 sièges de députés, le FNL Bigirimana n’a obtenu que 35.532 voix, soit 1,54% des suffrages exprimés et zéro député. En revanche, la fameuse coalition Amizero y’Abarundi, qui avait boycotté les élections, s’est vu attribuer 30 sièges. Pourtant, cette coalition qualifiée d’indépendante était en réalité une association de deux partis, le FNL d’AgathonRwasa et l’Uprona de Charles Nditije, réputés illégaux.
Là encore les élections (ou la CENI) ont créé une situation difficilement gérable : l’Assemblée nationale compte 20 députés FNL et 10 députés upronistes dont le parti n’existe pas juridiquement. Or la Constitution prévoit à l’article 129 que le gouvernement est constitué de ministres dont le parti a obtenu plus de 5% des votes, ce qui élimine l’UpronaNibigira. Restent le CNDD-FDD, le FNL Rwasa et l’UpronaNditije, soit un parti reconnu et deux non-reconnus… Que faire ? Le problème se pose aussi pour les Vice-présidents qui doivent être des élus et appartenir « à des groupes ethniques et des partis politiques différents » (articles 123 et 124). Mais quels partis en l’occurrence ? Logiquement aux deux partis de la coalition qui a reçu 30 sièges, mais qui n’existent pas légalement.
En définitive, on n’en a pas fini avec les tours de passe-passe constitutionnels, au risque d’escamoter définitivement notre loi fondamentale… Contre vents et marées, Gaston Sindimwo est désormais 1er vice-président de la République.